PASSAGE (S)
Evoquer le chambardement de l’ordre intime et la découverte sidérante de la possibilité de perte.
Dérouler une histoire microscopique et dérisoire à côté de laquelle néanmoins, le chaos du monde n’est rien…
Je fais face à la mer. Il fait frais. Devant moi, l’écume frise. Lumières et couleurs sont crues, les lignes sont dures..
Au tout début, adossée à cette première image, il y a cette plage pétrifiée de Westkapelle sur la presqu’île de Walcheren aux Pays Bas. En haut à droite, minuscule, une femme lit sur un banc. La mise à distance est volontaire. Nous la retrouverons plus loin car elle est au cœur du récit. Sur la grève, pas de sable mais de larges bandes de galets coulés dans du bitume qui dessinent de curieuses vagues boursouflées. Le ciel est griffé et épais, minéral.
Il y aura ensuite d’autres endroits racontant l’abandon, pas l’absence. Des lieux à la fois désolés et remplis de l’histoire des gens qui sont passés par là. Des escaliers, des couloirs ayant un jour conduit quelque part, des bancs désertés qui disent l’attente…
Le désordre est assumé, c’est le chantier d’une histoire provisoirement déconstruite, faite de fragments de puzzle qui ne s’emboîtent pas. Ce que vous voyez, c’est l’interstice, l’entre deux murs. Vous êtes précipités dans une zone d’inconfort découlant pour l’essentiel de l’indétermination des lieux (à l’exception du point de départ qui est nommé) et de l’absence d’indices quant à la direction à prendre.
Ce qui importe, c’est de retrouver cette femme minuscule qui lisait sur son banc. Elle porte un petit pull rayé. Son reflet dans la glace de l’armoire se veut rassurant, mais ce n’est qu’un reflet. Au moment où je déclenche, je tiens la crainte en respect : il faut que l’image captée soit à la fois inaugurale et ultime. Je la fabrique comme on fabrique un gri-gri, elle a une valeur propitiatoire et en même temps, elle vous laisse suffisamment de place pour que vous puissiez imaginer ce que vous voulez… parce que je ne vous livrerai rien de plus.